JUILLET 2022 - RP - ARTICLE DU MAGAZINE POLKA, ETE 2022

Dupon, des orfèvres au services des photographes 

 

Depuis janvier, le laboratoire Dupon siège au 15, avenue de Madrid à Neuilly sur Seine. Une ruche de 2400 m2 hérissée de cloisons vitrées, répartie sur deux étages où ronfle une ribambelle d’ordinateurs et d’imprimantes à la pointe de la technologie.

Ces engins ne seraient que coquille vide sans le savoir-faire des 56 salariés qui sont aux manettes. « Ce n’est pas la machine qui fait le tirage mais l’œil des techniciens expérimentés. » Florent Lepsch, nouveau directeur général, sait de quoi il parle. Avant d’occuper ce poste, il a exercé presque tous les métiers qui permet d’obtenir un tirage à partir d’un négatif ou d’un fichier numérique. « On a tendance à oublier qu’il faut passer par plusieurs manipulations, tests et réglages, pour aboutir à un rendu qui soit le plus fidèle possible à celui attendu par les photographes. Ici, ils peuvent venir discuter avec les opérateurs à chaque étape du processus ».

 

Une règle d’or chez Dupon, et ce, depuis 1975. Quand Jean-François Camp a fondé le laboratoire, les opérateurs portaient encore une blouse blanche sur leurs jeans, et l’équipe comptait autant d’employés que de livreurs. « C’était la course au temps ! Il fallait développer les images et les transmettre le plus vite possible aux rédactions. On travaillait sept jours sur sept, et 8 heures à minuit. Les photographes pouvaient venir superviser la chromie, demander qu’on rehausse l’exposition ici, qu’on maquille un peu plus là. Cette complicité est depuis toujours dans notre ADN. » ainsi, Jean-François Camp a vu débuter Sarah Moon, il a suivi les pérégrinations de Raymond Depardon, et Sebastão Salgado lui accorder sa confiance après avoir baroudé chez plusieurs concurrents.

 

Au milieu des années 1980, Dupon était le seul laboratoire à pouvoir réaliser des tirages de 1,80 m x 3 m. « Par sa dimension cinématographique, le Grand format a toujours été un de mes dadas, reprends le fondateur j’ai très vite pressenti l’intérêt qu’il aurait auprès des artistes des maisons de luxe. » Il ne s’est pas trompé. Peu à peu, Yves Saint-Laurent, Dior, Chanel ou encore Givenchy font appel à lui pour orner leurs boutiques d’immenses cliché, des pièces uniques imprimer sur une multitude de supports au gré des avancées technologiques.

 

Avec les années 2000, la photographie a opéré un virage numérique, suivi d’une période de ballottement. En l’espace de deux ans, de nombreux laboratoires ont mis la clé sous la porte. Dupon a su se réinventer en développant des départements retouche et graphisme en s’équipant de machine permettant d’insoler les papiers photosensibles au laser et de réaliser ainsi des tirages « argentonumérique ». Des imprimantes à jet d’encre pigmentaire sont apparues, garantissant une conservation dans la durée, ainsi que des scanners haute résolution pour numériser les archives de fondations, musées ou d’illustres agences comme Sipa, Cosmos au Magnum Photos. Le tout sans délaisser le tirage traditionnel noir et blanc, à l’agrandisseur, qui fait l’âme Dupon.

Ce bastion de la photo, Jean-François Camp l’a chouchouté pendant près de trente-cinq ans. « Mais il y a un temps où il faut savoir passer la main », souligne-t-il. Le fondateur a alors cherché un groupe capable d’élever son entreprise au rang de référence européenne, tout en conservant l’esprit d’ouverture et d’exigence cher à Dupon. Sa rencontre avec Cécile Dourmap, DG de Phidap, filiale de RC Group, est déterminante. Le rachat par le géant de la publicité sur le lieu de vente est acté en mars 2018. Cécile Dourmap, qui s’appuie sur Pierre Moutet, reconnu pour son excellence accompagnement des photographes, succède à Jean François Camp. D’autres changement se profilent ensuite, comme le déménagement.

Quitter le vieil édifice donnant sur la rue Joseph-de-Maistre, où la brigade Dupon officiait depuis 1981, a suscité quelques émois. Des craintes vite balayées. « Au premier abord l’immeuble de Neuilly n’a peut-être pas le charme de l’ancienne adresse du XVIIIe arrondissement, mais c’est beaucoup plus spacieux, lumineux et éminemment confortable, reconnaît Jean-François Camp. Et puis, il y a les mêmes personnes. » Le cœur du réacteur, comme le confirme Florent Lepsch, le directeur général. « Ce lieu était le seul qui nous permettait d’accueillir tout le monde au même endroit. Ailleurs, il aurait fallu séparer les équipes. » Impensable tant Dupon s’apparente à une grande famille « où la transmission des connaissances se fait à tous les étages. »

 

Dans l’espace Fine Art, le tireur Jean-François Bessol–trente ans de maison–forme une jeune recrue. Un étage en dessous, des orfèvres de la programmation surveillent les quatre développeuses couleur et noir et blanc, qui tourne à plein régime, tandis que les menuisiers poncent, découpent et contrecollent. « Ici, on peut tout réaliser de A à Z, du tirage à l’encadrement, précise Florent Lepsch, on ne veut pas être une entreprise à deux vitesses. Le secteur cosmétique représente 75 % de notre chiffre d’affaires et celui de la photographie 25 %, mais on tient à ce que nos techniciens traitent avec la même précision une image publicitaire pour Louis Vuitton est un tirage destiné au festival photo la Gacilly. » Car, depuis ses débuts, le laboratoire est un partenaire fidèle des grands rendez-vous de la photographie : Visa pour l’Image, Portrait à Vichy, les prix Planète Albert Kahn, Pierre et Alexandra Boulat ou Bayeux–Calvados.

Un soutien réitéré chaque année, qui va de pair avec l’attention portée à la relève. Si Dupon continue de travailler avec les plus grandes signatures du XXe siècle, de nouvelles on rejoint les fidèles. Parmi eux, le portraitiste Frédéric Stucin et les artistes Pierre Elie de Pibrac et Sophie Zénon. Sans oublier Yves Marchand est Romain Meffre, connu pour immortaliser à la chambre photographique les ruines industrielles. Quand Dupon a fait ses cartons, le duo a eu carte blanche pour capter l’âme des anciens locaux, vide et dénudées. Ces images, témoin du passé son aujourd’hui exposé sur les nouveaux murs du labo. Y aurait-il un brin de nostalgie dans l’air ? « Pas du tout, assure Florent Lepsch. C’est plutôt un symbole, une manière de raconter qu’on a emporté avec nous notre histoire et notre savoir-faire. »

Pierre Elie de Pibrac, dans la série Hakanai Sonzai